Bonjour a tous !
Voici quelques détails quant à mon terrain, et également quelques interrogations. Je suis donc arrivée en Inde il y a deux mois, et il y a une semaine de cela, j’ai commencé mon terrain.
Je vous rappelle mon sujet, j’essaie de faire une comparaison de différentes définitions de la pauvreté :
- pauvreté monétaire, mesurée par une approche par la consommation
- pauvreté a la Sen, mesurée par l'absence de capabilites
- pauvreté a la John Rawls, mesurée par l'absence de biens premiers
Mon questionnement de départ est le suivant: est ce que les pauvretés en termes de biens premiers, de capabilites et de ressources monétaires isolent les mêmes personnes?
Apres une comparaison des théories de Rawls et Sen, j'aimerais voir, grâce aux données de terrain, s'il existe une variabilité individuelle dans la manière de transformer les moyens du bien-être en opportunités réelles de bien être. En effet, si le recouvrement de la pauvreté n'est pas identique a partir des trois définitions (un individu est pauvre « à la Sen », mais pas « a la Rawls »), on peut conclure que cette variabilité individuelle existe, et justifier l'existence parallèle des théories de Sen et Rawls.
Pour l’instant (avant de tirer des conclusions !), il s’agit donc de mesurer au mieux les trois pauvretés différentes.
J’ai décidé de mesurer la pauvreté monétaire au niveau du ménage, pour transformer ensuite ces donnes en données individuelles (consumption per adult equivalent). Il m’a semble, après lectures, qu’il s’agissait de la méthode la plus appropriée pour avoir une « bonne » mesure de la pauvreté en terme de richesse. C’est donc une mesure par la consommation : j’énumère une liste de 15 postes budgétaires (transport, communication, medical expenses, electricity charges, etc.) pour lesquels le chef de ménage me donne le montant mensuel alloué a ces différents postes. J’évalue ensuite les biens durables possédés par le ménage (liste de 25 biens). J’avoue que je ne sais pas encore vraiment comment traiter cette mesure « biens durables », ni comment l’inclure dans mon indice de pauvreté monétaire (faut-il posséder trois chaises, un ventilateur et une télévision pour ne plus être pauvre monétairement ?)
Concernant la pauvreté à la Sen, ca se complique un peu. C’est une mesure au niveau individuel (j’interroge les membres du ménage qui sont présents au moment de l’enquête, qui ont 13 ans et plus). Ici, le but est de poser les questions de façon à ce que l’individu identifie et réponde en fonction de ses capabilities (accès, opportunités). Exemple de question : « Does your health in any way limit your daily activites compared to most people of your age ? » plutôt que « Are you in good health ? », ou encore « Do you think your education level prevent you from living the life you would like to live ? ». J’ai donc 5 questions de ce type qui me permettent de mesurer la pauvreté à la Sen.
Pour ce qui est de la pauvreté à la Rawls, les choses se compliquent encore plus. La Théorie de la justice fait appelle à des principes philosophiques plus qu’économiques, et la liste des biens premiers définie par Rawls est complexe à mesurer par un questionnaire :
1. droits et libertés de base
2. liberté dans le choix d'une occupation entre des possibilités variées (equality of opportunity)
3. pouvoirs et prérogatives afférant à certains emplois et positions de responsabilité dans les institutions politiques et économiques
4. revenu et richesse
5. bases sociales du respect de soi
J’ai retenu pour la formulation des questions les biens premiers suivants : liberté d’expression, non-discrimination a l’emploi, être lettré, être en bonne santé, considérer son existence comme valable et se considérer comme un individu digne de confiance. Le risque est que ces questions soient trop proches de celles pour Sen, et isolent, par biais de construction du questionnaire, les mêmes personnes.
Un premier contact avec le terrain m’a donc bien éclairée sur la (in/) validité de mon questionnaire. Les individus interroges pour ce test vivent dans un bidonville au nord de Delhi, a proximité d’une gare, sur un terrain qui appartient a l’Etat. Concernant les modalités linguistiques du recueil des données, un research analyst de l’université de Delhi m’a accompagne pour traduire les échanges de l’hindi vers l’anglais.
Le premier souci était la longueur du questionnaire et la complexité du recueil des données de dépense (15 postes budgétaires + biens durables). La durée du questionnaire a été de 40 minutes (invariable sur 12 ménages interroges), ce qui m’a paru convenable (les personnes interrogées ne se déconcentrent pas comme j’avais pu le craindre). Le recueil des données de dépense n’a pas pose de problème non plus, a l’inverse de ce que craignait Thomas Renaud (risque d’approximation ou de non-réponse) : il se trouve que les chefs de ménage ont une connaissance très exacte de combien ils allouent a chaque poste budgétaire. J’ai obtenu des réponses précises et rapides.
Second souci, celui de la désirabilité sociale lorsque je pose les questions suivantes : « Do you freely express your views while speaking with your family and friends ? » (No, Rather no, Rather yes, Yes) et « In your opinion, are you considered as a valuable person by others ? » (No, Rather no, Rather yes, Yes). Il est évident que je n’ai pas pu prendre les individus a part pour leur poser ces questions, et qu’ils répondent donc soit en présence du chef de ménage, soit de leurs frère/sœur/amis… Cependant, dans les réponses obtenues (sur le petit échantillon de 24 personnes/12 ménages qui ont servi au test), certaines sont négatives. Il est vrai, cela dit, que j’ai pu passer a cote de certaines réponses négatives a cause des raisons précédemment évoquées. Solution envisagée (critiquable !) : pondérer les réponses obtenues a ces questions. Ainsi, un « Rather yes » pour « Do you freely express your views while speaking with your family and friends ? » me parait très différent d’un « Yes », franc… Est-ce envisageable de traiter/interpréter les réponses de cette manière ? (méthodologie, antécédents en la matière ?)
Un dernier petit souci soulevé par Thomas Renaud, la taille de l’échantillon. Je compte interroger 50 ménages (soit facilement une centaine d’individus, voire plus) dans un premier bidonville, et 50 autres ménages dans un second bidonville (même remarque), ou les problèmes ne sont pas les mêmes (alcool notamment). Qu’en pensez-vous ? Trop peu ?
Enfin (et j’arrête la), je pense que je vais avoir recours a quelques entretiens qualitatifs, la méthodologie dont tu parlais Marianne m’a l’air intéressante (mais le livre difficile a trouver !). En effet, comparer Sen et Rawls nécessite aussi une approche qualitative a mon avis. J’y réfléchis.
Merci d’avance pour vos réponses, si vous avez le courage de tout lire.
Bon courage a tous,
Raphaëlle
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Un petit message de soutien ! avec quelques remarques qui me sont passées par la tête.
RépondreSupprimerA mon avis, la solution que tu envisages (pondérer les réponses obtenues aux "questions sensibles") est un peu dangereux et risque d'introduire un autre biais. Simplement dire et expliquer (comme tu l'as fait dans ton message), les conditions de réponse aux questions, me semble suffisant (enfin c'est que mon avis...)
Pour l'échantillon, si 50 ménages (et donc bien plus d'une centaine de personnes - vu que les ménages sont très souvent (pour ne pas dire exclusivement) composés de plus de 2 personnes) ne suffisent pas, je ne vois pas quoi faire! on n'est pas en thèse et vu les moyens qu'on a, je trouve ça déjà très bien!
Bon courage et à plus tard :)
Merci Marianne (?) pour ce commentaire,
RépondreSupprimerJ'ai reflechi aussi et je pense laisser tomber cette histoire de ponderation. En ce qui concerne l'echantillon, j'ai decide d'en faire trois, un dans un bidonville sans ONG, un dans un bidonville avec ONG, et un dans un quartier pauvre (conditions de vie juste au-dessus de celles d'un bidonville). 50 menages interroges par echantillon me parait bien. J'ai quasiment fini le premier bidonville (sans ONG presente), et j'entame des entretiens qualitatifs le week end prochain, type "Life story interview", sur des individus que j'ai deja interroge (follow-up interviews). Je compte en faire une dizaine, est ce assez pour determiner ensuite des "profils" de pauvrete en fonction des trajectoires de vie et des biens premiers/capabilities detenus?
Merci d'avance pour vos commentaires, et surtout bon courage a tous, le terrain est une activite epuisante!
PS: je pensais avoir signé mon commentaire : le message c'était moi ! (Kim)
RépondreSupprimer(je vois pas comment écrire d'un autre compte que "Terrain 2009" sans adresse perso gmail...)
Merci Kim! Je ne pensais pas que le commentaire venait de si pres... On en parle en direct ce soir :-)
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